Cette semaine était publié un sixième rapport du GIEC décrivant la catastrophe planétaire qui marque l’Anthropocène : en maintenant les relations destructrices qui nous lient au monde, nous affectons les conditions écosystémiques fondamentales à la vie sur Terre. Ce rapport est donc un rappel: les activités humaines, telles que poursuivies par toutes les grandes civilisations capitalistes et industrialisées, exercent une pression insoutenable sur les écosystèmes planétaires et exacerbent, à terme, les bouleversements écosystémiques, l’effondrement de la biodiversité et l’effacement des cultures territoriales capables de prendre soin de leurs mondes.

Mais ce n’est là rien de nouveau. En fait, ce rapport du GIEC apparait presque comme un roman descriptif des nouvelles réalités bioclimatiques vécues chaque jour par les communautés un peu partout sur la planète. Pensons aux inondations qui se multiplient, aux feux qui déciment les forêts, aux sècheresses qui appauvrissent les sols, aux records de chaleur continuellement battus, aux espèces vivantes qui disparaissent à vue d’œil, aux mouvements migratoires qui résultent de conditions territoriales invivables et à l’accaparement des terres autochtones ancestrales qui se poursuit au nom du profit. Ces réalités gagnent en intensité pour chaque degré qui s’ajoute au thermomètre du climat mondial.

Face à un tel désastre, il semble alors tout à fait essentiel d’attirer notre attention sur deux questions: Que faisons-nous ? Et où sommes-nous ?

 

Que faisons-nous ?

Rien. Pire, nous tâchons de poursuivre, avec toute la folie qui semble s’être emparée du monde, cette ruée sans limites vers le Progrès, l’Innovation, la Croissance et le Développement.

On apprenait cette semaine, dans une synchronisation presque parfaite avec la sortie du GIEC, qu’Elon Musk, grand apôtre du techno-libertarisme, souhaite projeter des publicités dans l’espace grâce à un satellite doté d’écrans. Une telle volonté, en plus d’exposer les dérives de son hubris, exprime, à la fois symbolique-ment et physiquement, le dépassement des limites terrestres par l’entreprise-monde. Nous pourrons enfin lever les yeux vers le ciel pour recevoir les messages du Dieu Coca-Cola. La sacralisation du monde de la consommation n’aura jamais été aussi bien matérialisée. En janvier, aux États-Unis, Biden dévoilait un « plan de relance » de 1900 G$ visant à stimuler la croissance du PIB par l’entremise de la consommation. Plus récemment, il révélait son plan d’infrastructure de 1200 G$ ayant pour objectif la mise à jour du réseau servant à la circulation des marchandises, tant physiques que numériques.

De même, en Chine, on poursuit le programme « Made in China 2025 » et on procède à l’expansion des nouvelles routes de la soie par voies terrestres. On mise alors sur un contrôle de masse numérisé, rendu possible par le « crédit social », pour conduire l’existence docile et atténuée des consommateurs qui en résulteront.

À l’heure où s’effondrent les écosystèmes qui supportent la vie, les grands empires capitalistes se font compétition pour l’accaparement des ressources planétaires, l’exploitation des populations vulnérables et l’accompagnement algorithmique d’existences métropolitaines serviles, obéissant aux pulsions d’une marchandisation intégrale des phénomènes de la vie. Partout, cette ruée capitaliste est menée par la doxa de l’innovation technologique. Et la Chine inspire le monde Occidental pour sa capacité à saisir, contrôler et induire massivement les comportements. Mais comment ne pas voir, à travers tous ces élans, une pure folie ? Les ruines du capitalisme s’accumulent et on cherche à tout prix à en ériger de nouvelles. Plus « vertes », plus « durables », mais surtout plus « connectées » et plus « intelligentes ».

Au Québec, c’est dans cet état d’esprit que Legault prévoit transformer la vallée du Saint-Laurent en une Silicon Valley avec ses « zones d’innovation » techno-industrielles et sa vision maritime « Avantage Saint-Laurent ». On nous promet que les hautes technologies et l’intelligence artificielle viendront remédier miraculeusement aux problèmes de l’humanité, alors qu’on ne fait, en réalité, qu’amplifier les rapports nocifs entretenus depuis des siècles avec les territoires et les communautés qui les habitent. Devant une telle folie et face à l’ampleur du désastre, il semble primordial d’en revenir à la question du lieu.

 

Où sommes-nous ?

Nulle part. Nous sommes distrait·es, occupé·es, débordé·es, dans des logements, des maisons, des bureaux, derrière des écrans, à manipuler des machines, diriger des entreprises, opérer des chaines de montage, gérer des équipes, développer des modèles d’affaires. À répondre à des ordres en échange d’un salaire. À alimenter quotidiennement cette machine économique mortifère.

Nous sommes, comme le dit si bien Dalie Giroux, des « êtres circulés ». En voiture, en vélo, en bus, en tramway. Nous nous déplaçons d’un lieu à l’autre, passons d’une tâche à l’autre, mais nous n’habitons pas le territoire. Surtout, nous n’habitons pas le territoire. Car cela impliquerait d’entrer en relation avec différents êtres, établir des liens diplomatiques avec d’autres espèces, traiter le sol avec soin, prendre conscience du lieu, redonner à Gaïa, reconnaitre certaines limites, prêter attention aux phénomènes du réel.

Mais il est évident qu’il est plus simple de croire que les enjeux de notre époque sont techniques, qu’il nous suffira d’inventer de nouveaux gadgets, ou que des Elon Musk le feront à notre place, pour que les problèmes de la planète se règlent d’eux-mêmes, sans remise en cause des rapports fondamentaux que nous entretenons avec le monde, ou sans l’opération d’une transformation d’ordre ontologique.

Or, il est aussi de plus en plus clair qu’un tel aveuglement appartient à la pure folie. Que les promesses du monde de l’Économie nous conduisent tout droit vers la catastrophe.

Plus que jamais, l’heure est à la renaissance : faire le deuil de ce monde économico-industriel. Reconnaitre que sa reproduction est synonyme de mort. Le déserter. Nous rassembler dans cette désertion. Désirer une existence participant à la régénération des processus de vie. Tout faire pour y arriver. Accueillir l’incertitude qu’impliquent de telles décisions.

Car il n’est pas non plus nécessaire de démontrer que l’humanité est capable de prendre soin des mondes qu’elle habite, à respecter l’ensemble des êtres vivants et à vivre au sein des écosystèmes selon un certain sens des limites: les communautés autochtones en font la démonstration depuis des millénaires. Désertons ce monde du tout-à-l’économie qui, par tous ses moyens, est voué à la mort. Rallions-nous aux gardiens de la forêt que sont les Premiers Peuples. Protégeons et renforçons les communautés du vivant. Tous les jours.

Cessons de nous en remettre à la politique. Constituons une force politique. De toutes nos forces, mettons terme au Développement. Bloquons les réseaux qui en garantissent la continuité, les infrastructures qui fluidifient la circulation des marchandises, les industries qui perpétuent la mort. Habitons, ici et maintenant, les ruines que nous lèguent le capitalisme pour que puisse y émerger des multitudes d’êtres et de perspectives relationnelles renouvelées. Pour que cesse le Développement. Et qu’émergent, depuis ses ruines, des multitudes de mondes respectueux des processus de vie. Comme le disent des ami·es, « ici, nous n’en sommes qu’à nos débuts ».