De partout, des échos nous parviennent d'espaces habités où l'on refuse la restructuration capitaliste de la production de la vie qui est en cours. Ils nous parviennent d'anciens vides laissés par les dépressions qui sont maintenant repris et qui deviennent l'occasion d'une vie en commun. Ici et ailleurs, des zones autonomes surgissent en réaction à la dépossession coloniale et contre ses projets d'aménagement et d'exploitation des territoires. Ces espaces défendus sont des lieux de réinvention de la vie, de l’expérimentation de sensibilités hors de la marchandise, en parallèle, ailleurs, et contre les horreurs de la modernité. Au soi-disant Québec, la volonté à mettre en oeuvre de tels espaces se fait de plus en plus sentir. Des tentatives germent, prennent pied, mais aucune n'a la force d'imposer une zone de non-droit où l'expropriation serait complète, où l'on pourrait vivre en commun, sans l'imposition légale de la propriété privée; où la police ne pourrait jamais entrer et où l'on serait libres, vraiment, de vivre comme on l'entend.

Organiser la désertion n'est pas chose facile et n'est pas chose individuelle - c’est de l’intensité des liens que nous nouons avec les autres que s’alimente notre processus d’émancipation. Penser et réaliser la rupture, la sécession, c’est penser et réaliser le commun. Notre lutte face aux plus importants dispositifs de pouvoir tient à notre capacité à nous constituer en bandes, en machines de guerre; à ouvrir et raccorder des solidarités, des amitiés, et à étendre nos partages. La multiplications des liens prend son sens lorsqu’elle entraîne dans son sillage des complicités, des ruptures et des fuites collectives, l’élaboration des mondes que nous désirons partager.

Rendre possible la désertion, prendre la direction de la fuite et, en chemin récolter les armes nécessaires, impose un certain nombre de questions :

D'abord, que savons-nous, que savons-nous faire qui nous permette de tenir cet ailleurs?

Qui, autour de nous peut nous apprendre?

Comment communiser nos savoirs et accroître notre puissance collective?

Ensuite, comment rendre si tangible ce refus, qu'il puisse rendre titubant le confort aseptisé qu'ils nous font miroiter?  Et puis, qui osera lâcher sa job, abandonner ses études, se défaire de son confort urbain, et vivre une aventure à la hauteur de l'époque? Qui se risquera à ne pas se trahir, pour vivre, finalement?

Les gestionnaires de la société nous redoutent. Ils craignent que, encore vivant.es, on décide d'arrêter de les faire vivre de notre misère. Nous avons les moyens de déserter, au prix de renoncer à l'ordre social qui nous a consumé.es. Déserter veut dire agencer les conditions d’épanouissement de rapports moins mutilés que ceux  commandés par la domination moderne/coloniale :

hostilité grouillante, impossibilité deprendre soin les un.es des autres, ennui total, absence de communauté comme d’inimitiés et d’amitiés véritables, séparation fonctionnelle de la violence, de la folie, de la souffrance, de la production.

En un sens, c'est notre dernière chance: un monde qui va droit au gouffre veut s'assurer qu'il n'y ira pas seul, nous entraînant vers l'abîme, capable de tout pour empêcher chaque rupture. De nôtre côté, il nous faudra redoubler d'imagination et d'intelligence pour détruire ce qui nous détruit. Pour sortir des dominations et les abattre, nous devons agir selon de nouvelles configurations, de nouvelles logiques, développer une nouvelle grammaire, une nouvelle manière de penser en commun, surprendre.

C’est peut-être la seule aventure à hauteur de vie qui nous soit ouverte, pour l’heure.

En somme, le défi nous est lancé :

Qui prendra le temps de tisser le maillage révolutionnaire nécessaire à la mise en place de telle zones ?

Qui répondra aux appels lancé à partir des situations les plus risquées ?

Qui arrivera à mettre en commun les savoirs nécessaire à les faires tenir ?

Qui aura l'audace de joindre sa vie à l'effort d'ouverture d'un nouveau cycle révolutionnaire ?